Terreur blanche de 1815
Été - Automne 1815
Dès l'annonce de la défaite de Napoléon à Waterloo, la Provence et le Languedoc royalistes se ruent sur les "traîtres" qui ont soutenu "l'usurpateur". Au début de l'été 1815 éclate une véritable guerre civile. Cette "Terreur blanche" durera jusqu'à l'automne et sera suivie d'une répression féroce. Ces événements tragiques montreront les limites de la réconciliation prônée par le roi et préfigureront les excès des ultras qui conduiront à la Révolution de 1830.
Tout commence à Marseille, ville férocement royaliste. Le maréchal Brune, que l'empereur déchu a chargé du commandement du Var et des Bouches du Rhône, y a décrété l'état de siège pour éviter tout débordement. Mais, dès la nouvelle de la chute de Napoléon, la ville s'est embrasée. Depuis la fin du mois de juin 1815, un climat de terreur y règne. Les royalistes s'en sont pris aux "fédérés", bonapartistes, républicains, jacobins et protestants mêlés. Même les Mamelouks ramenés d'Egypte par Napoléon, devenus les ennemis des défenseurs de la fleur de lys, ont péri dans l'un des massacres, incontrôlables et incontrolés, qui ensanglantent Marseille. Aux cris de "Vive le Roi!", la foule se venge au hasard des soupçons, des dénonciations. Ici tombe un vieux miroitier, là deux officiers en retraite, ailleurs des pâtissiers. Les émeutes ont pris une telle ampleur que les notables du comité royaliste abdiquent toute autorité.
Ceux-ci lancent cependant une proclamation fort ambiguë : "Il faut arrêter les excès des coupables... Les violences exercées par les militaires qui avaient osé faire feu sur le peuple pouvaient faire excuser des vengeances personnelles exercées dans le premier temps d'un triomphe obtenu au prix du sang des citoyens..." Une telle affirmation ne garantit en rien un retour au calme...
Bientôt, la guerre civile (la Terreur blanche) déferle sur tout le midi. Le comité royaliste de Marseille a ouvert la voie en absolvant d'avance les coupables en tant qu'anciennes victimes. Le cercle vicieux fait donc des victimes de cette guerre-là des coupables. La Provence s'empresse de suivre l'exemple marseillais. Seul le port de Toulon persiste dans ses opinions bonapartistes.
Ailleurs, les Blancs font régner la terreur. A Agde, à Beaucaire, à Mende, dans l'Hérault, les pillages succèdent aux tueries au nom du roi. Les bandes armées, composées de royalistes de fortune, déserteurs et volontaires, paysans et artisans, vagabonds et prisonniers libérés du château d'If gagnent Béziers et Pézenas, où une taxe est levée en catastrophe pour assurer leur entretien.
A Nimes, le conflit est aggravé par la vieille haine entre catholiques et protestants. Les grognards de Gilly, ancien général de Napoléon, qui refusent la Restauration, sont lynchés par la foule.
A Avignon, le maréchal Brune est assassiné froidement alors qu'il essaie de gagner Paris; son corps est mutilé et jeté dans le Rhône. Le préfet du Roi, dépassé par les événements, ferme les yeux. Dans le Languedoc, les protestants cévenols, réputés républicains, sont poursuivis avec hargne.
A Toulouse, sévissent les "Verdets" qui arborent des cocardes vertes, couleur du comte d'Artois, futur Charles X. Ils gouvernent la ville selon leur propre loi, ne reconnaissant pas celle de Louis XVIII, dont ils se méfient. Le 15 août, ils exécutent le général Ramel, nommé gouverneur de la place au nom du roi. Bénéficiant d'appuis en haut lieu, les meurtriers ne sont guère inquiétés. A Toulouse, comme partout, la loi du silence, soeur de la terreur, règne en tyrannique maîtresse.
A Paris, Louis XVIII charge son ministre de la Police, Joseph Fouché, de poursuivre les traîtres. Le duc d'Otrante (Jacobin, il a voté la mort de Louis XVI et a été ministre de Napoléon) sait bien ce que traîtrise veut dire et désigne ses proscrits, profitant de l'occasion pour se débarrasser d'ennemis personnels. Louis XVIII, qui désire se montrer magnanime, parle d'amnistie générale pour calmer les esprits. Mais Fouché dresse une liste d'une centaine de responsables de l'armée et de l'administration qui ont soutenu l'empereur pendant les cent Jours. En août, l'élection d'une nouvelle Chambre et la victoire écrasante des ultras royalistes causent la perte de Fouché, qui est envoyé à Dresde comme ambassadeur. Mais les ultras exigent eux aussi une répression sans merci. Et les "Traîtres" tombent sous le tir des pelotons d'exécution. Le maréchal Ney est fusillé le 7 décembre après un procès hâtif et bâclé. Il en va de même pour de nombreux officiers de l'Empire, tel le jeune général de La Bédoyère.
Si à Paris la "Terreur blanche" paraît moins barbare qu'en Provence, c'est parce qu'elle s'effectue dans une ordonnance bien réglée. C'est seulement le 5 septembre 1816 que Louis XVIII se résoudra enfin à mettre un terme à cette féroce répression et à dissoudre la Chambre, pour aller vers plus de modération.