Poitiers - Octobre 732 (ou 733?)

Charles Martel à Poitiers en 732La bataille de Poitiers ou bataille de Tours oppose, en 732 ou 733, une coalition composée principalement de combattants des Royaumes francs et des duchés d'Aquitaine et de Vasconie au gouvernorat omeyyade (combattants majoritairement Amazighs - Berbères). Les Francs, les Vascons et les Aquitains, menés respectivement par le maire du palais Charles Martel et le duc d'Aquitaine et de Vasconie Eudes, y obtiennent une victoire décisive face aux Omeyyades, menés par le gouverneur d'Al-Andalus Abd al-Rahmân, qui meurt lors du combat. Les détails de la bataille, notamment sa localisation et sa date exactes, ainsi que le nombre de combattants, ne peuvent être déterminés avec certitude.

Cette victoire importante des chrétiens sur les musulmans a un retentissement immédiat des deux côtés, la technique de combat de Charles, élevé au rang de champion de la chrétienté, lui valant son surnom de Martel (Marteau) de la part des chroniqueurs du ixe siècle, qui voient en cette victoire un jugement de Dieu en sa faveur. La bataille devient à partir du xvie siècle un symbole de la lutte de l'Europe chrétienne face aux musulmans, événement qui marque un tournant dans l'Histoire avec le début du recul de l'islam face au christianisme en Europe. Les historiens contemporains sont divisés quant à l'importance réelle de la bataille de Poitiers et son rôle dans le maintien du christianisme en Europe. Les avis sont moins divergents en ce qui concerne le poids qu'a la bataille dans l'établissement de la domination franque en Europe de l'Ouest pendant le siècle suivant, et l'émergence de l'Empire carolingien.

Historiographie

Du côté des auteurs latins des VIIIe et IXe siècles, les sources sont assez nombreuses, proches de l'événement, et exceptionnellement détaillées pour l'époque. Cela témoigne que dès leviiie siècle la bataille est considérée comme importante. On peut citer Bède le Vénérable en 735, la Chronique de Moissac ainsi que les Annales de Metz qui mentionnent l'événement, en des termes brefs et similaires, rappelant que "Charles combattit les Sarrasins un samedi du mois d'octobre". Le seul récit détaillé se lit dans les chroniques mozarabes, au milieu du viiie siècle, dans lequel l'auteur, anonyme chrétien de Cordoue, raconte la bataille et donne pour cause de la défaite omeyyade des dissensions internes. Le récit de la bataille de Poitiers se situe entre celui de la bataille de Toulouse (721) et celui de la bataille de la Berre (737).
 
Quelques chroniques arabes mentionnent l'événement, la principale étant celle de Abd Al-?akam (861). Les batailles de Toulouse, de Poitiers et de la Berre apparaissent comme des défaites chez les chroniqueurs d'Al-Andalus. Les allusions arabes à la bataille de Poitiers sont très sèches et précisent simplement que Abd Ar-Ra?m?n et ses compagnons "ont connu le martyre".

Contexte
Conquêtes omeyyades précédentes

Au début du VIIIe siècle, le califat omeyyade, grâce à une armée composée majoritairement de Berbères islamisés, conquiert la péninsule Ibérique puis la Septimanie, partie du Royaume wisigoth qui avait échappé aux conquêtes des fils de Clovis Ier, y compris Narbonne.
Les gouverneurs à la tête de la Septimanie lancent alors des expéditions ponctuelles en Aquitaine pour s'emparer de butin. Eudes, duc d'Aquitaine et de Vasconie, se retrouve en première ligne. En 721, il parvient à arrêter les musulmans à Toulouse, allié pour la première fois aux Francs. Quelques années plus tard, il s'allie au gouverneur omeyyade Munuza, subordonné du gouverneur d'Al-Andalus Ambiza. Munuza tente de se constituer une principauté indépendante en Cerdagne. Nommé en 730, le nouveau gouverneur d'Al-Andalus, Abd Ar-Ra?m?n, dirige alors une expédition punitive contre Munuza, qui est battu et tué.

Situation des Francs

Au nord de la Loire, le maire du palais Charles Martel bat Rainfroi, allié d'Eudes, et rassemble sous son autorité le Royaume franc, qui devient la principale puissance chrétienne d'Europe de l'Ouest. Il lance également une expédition pour soumettre l'Aquitaine l'année précédant la bataille de Poitiers : Eudes se retrouve pris entre deux feux.

Campagne précédant la bataille

Environ une décennie après la défaite des Omeyyades à Toulouse en 721, Abd Ar-Ra?m?n lance une nouvelle expédition au-delà des Pyrénées, principalement constituée de Berbères et de contingents recrutés dans la péninsule Ibérique. Parmi les participants à l'expédition omeyyade, les chroniques mozarabes font la distinction entre "Sarrasins", Arabes venus d'Arabie et de Syrie notamment, plus anciennement islamisés, et "Maures", Berbères venus d'Afrique du Nord (antique Maurétanie). Le nombre élevé de Berbères parmi les conquérants musulmans explique que ces derniers soient aussi globalement désignés sous le terme de Maures. L'incursion de Abd Ar-Ra?m?n n'a pas pour but principal la conquête mais le pillage. Les Omeyyades envahissent l'Aquitaine, razzient le pays et prennent les faubourgs de la ville de Bordeaux. Eudes réunit une armée pour les contrer, mais il est battu entre la Garonne et la Dordogne et prend la fuite. Il appelle alors les Francs à l'aide, ce à quoi Charles Martel ne répond qu'après qu'Eudes lui promet de se soumettre à l'autorité franque.
 
Abd Ar-Ra?m?n continue son avancée, marche sur Poitiers, pille et peut-être incendie l'église Saint-Hilaire le Grand. Attiré par les richesses de l'abbaye de Saint Martin il se dirige ensuite vers Tours et se fixe probablement comme unique objectif la mise à sac du sanctuaire national des Francs, la riche basilique Saint-Martin de Tours. Cependant, Charles Martel, répondant à l'appel d'Eudes, marche aussi vers cette ville après avoir réuni une armée constituée principalement de fantassins francs. Pour les historiens chrétiens, c'est pour défendre le sanctuaire de Tours que Charles Martel entre en guerre, c'est pourquoi, à partir du xvie siècle, cette bataille est aussi appelée bataille de Tours. Il décide d'attendre que les Omeyyades soient lourdement chargés de butin pour les attaquer. En fait, Charles Martel est très intéressé par le contrôle du riche sud-ouest et de la vallée de la Loire. Il est déjà venu l'année précédente en 731 et ravi de revenir avec une armée importante

La Bataille

- Lieu

Les sources concordent pour placer la rencontre sur le territoire de l'antique civitas de Poitiers, donc dans le nord du Poitou. L'appellation arabe de la bataille, d'après une source du XIe siècle est balât al-shuhadâ traduite au XIXe siècle par Pavé ou Chaussée des martyrs. Elle permet alors de préciser la localisation et de la situer sur l'ancienne voie romaine entre Poitiers et Tours, et donc sur la rive droite du Clain. Les historiens sont d'accord pour ne pas la situer à proximité immédiate de Poitiers, car la forêt de Moulière aurait gêné les cavaliers omeyyades. Une partie des historiens place l'emplacement de la bataille à proximité du hameau de Moussais (renommé Moussais-la-Bataille), sur l'actuelle commune de Vouneuil-sur-Vienne, entre Châtellerault et Poitiers. D'autres historiens préfèrent placer la bataille à Cenon-sur-Vienne, située au confluent de la Vienne et du Clain. D'autres encore, comme André-Roger Voisin, préfèrent la situer près de Ballan-Miré, à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de Tours, sur le lieu-dit des "landes de Charlemagne" en raison des armes qui y avaient été retrouvées. L'historienne Françoise Micheau précise que la traduction de balat serait plutôt "palais" ou "édifice somptueux" pouvant alors placer la bataille près de la riche abbaye de Saint-Martin de Tours.
Quoi qu'il en soit, la bataille semble suivre l'axe Poitiers-Tours, comme le confirment des fouilles, notamment à Preuilly-sur-Claise où des tombes mérovingiennes avaient été retrouvées au pied de l'ancienne abbatiale. Pas moins de trente-huit sites revendiquent être le lieu exact de la bataille.

- Date

Si les nombreux détails donnés par les chroniqueurs permettent d'avancer certaines précisions sur la datation de l'affrontement, celle-ci reste débattue, les propositions oscillant entre 732 et 733, généralement située au mois d'octobre de ces deux années.
Selon les chroniqueurs européens, l'affrontement a lieu un samedi du mois d'octobre. Selon les chroniqueurs arabes, il a lieu le premier samedi du mois de ramadan 114 de l'Hégire, soit après le 23 octobre 732. Le premier samedi est le 25, ce qui place alors la bataille au 25 octobre 732. Les historiens préférant placer la bataille de Poitiers l'année suivant celle de Bordeaux estiment que l'étendue du territoire à conquérir depuis les Pyrénées est trop vaste ; cependant, actuellement, on considère qu'il s'agit d'expéditions de razzia, et couvrir la distance entre les Pyrénées et la Vienne en moins de quatre mois semble raisonnable.
 
Léon Levillain et Charles Samaran datent eux la bataille du 11 octobre 732. Ivan Gobry affirme pour sa part que la bataille a lieu le 17 octobre 733. Selon lui, seule la Chronique de Moissac, rédigée un siècle après l'événement, donne 732. Le continuateur de Frédégaire, contemporain de la bataille, et le chroniqueur castillan Rodrigo Jiménez de Rada, archevêque de Tolède du xiiie siècle, avancent également la date de 733. Cette date est confirmée par les auteurs arabes de l'époque qui fixent l'événement à l'année 115 de l'Hégire. L'abbé Joseph-Épiphane Darras (1825-1878) rapporte qu'il est écrit dans un manuscrit des Annales de Hildesheim que la bataille a lieu un samedi, donnant pour quantième un jour d'octobre dont la première lettre est effacée, mais dont la suite est VII. Il se trouve qu'aucun samedi d'octobre de l'année 732 n'est le 17 ou le 27, mais le 17 octobre 733 est bien un samedi.

- Déroulement

Pendant une semaine, des escarmouches ont lieu, aux confins du Poitou et de la Touraine. Après ces escarmouches, l'affrontement décisif a lieu, sur deux jours. Abd el Rahman lance sa cavalerie sur les Francs. Ceux-ci, formés en palissade "comme un mur immobile, l'épée au poing et tel un rempart de glace", les lances pointées en avant des boucliers, attendent le choc. Il semble que l'image ait quelque chose de juste dans la mesure où c'est bien la solidité des lignes franques qui impressionna les troupes arabo-berbères. La mêlée s'engage et les Francs parviennent à faire refluer leurs opposants. Mais ceux-ci n'ont pas l'occasion d'attaquer une seconde fois car de son côté les Vascons, commandés par Eudes prend l'ennemi à revers et se jette sur le camp musulman. Croyant leur butin et leurs familles menacés, les combattants Maures regagnent leur campement. Ils subissent de lourdes pertes et Abd el Rahman est tué. Les survivants, obligés de regagner le sud des Pyrénées furent attaqués par les Vascons au passage des cols.
 
Le lendemain, au point du jour, Charles donne l'ordre d'attaquer, mais le camp est vide, les musulmans se sont enfuis dans la nuit. Selon une légende locale à la région du Haut Quercy, Abd el Rahman n'aurait pas été tué à la bataille de Poitiers mais aurait simplement reflué vers ses bases arrières de Narbonne. Poursuivi par les troupes franques de Charles Martel, il aurait été tué et son armée exterminée lors d'une bataille livrée à Loupchat au pied de la falaise du Sangou, dans le Lot, en 733. L'Hôtel de ville de la commune de Martel aurait été construit, selon aussi une légende locale, sur le lieu même de la bataille. Charles fut alors acclamé sous le nom de Martel : "marteau des infidèles".

Explications de la défaite arabe

Selon l'historien André Clot, un des facteurs de la défaite réside dans l'éloignement des musulmans de leurs bases. Autre facteur : l'armée musulmane était composée en majorité de Berbères d'Afrique du Nord venus avec leur famille ce qui gênait les manœuvres de l'armée et retardait ses mouvements, les hommes protégeant leurs femmes et leurs enfants. Enfin, toujours selon André Clot, le duc d'Aquitaine aurait attaqué lors du combat final le camp où étaient rassemblées les familles, entraînant la débandade des musulmans.
Une hypothèse a été quelque temps que l'étrier utilisé par la cavalerie franque lui a permis d'asséner des coups si puissants ("martels") que l'envahisseur, n'en étant pas équipé, ne pouvait y résister. Cependant, il est généralement admis que l'immense majorité de l'armée franque était composée de fantassins et que c'est leur discipline et la supériorité de leur armure qui ont fait la différence.

Conséquences

Cette défaite marque le terme de l'expansion musulmane médiévale en Occident et favorise les ambitions de Charles désormais surnommé Martel. En répondant à l'appel à l'aide du duc Eudes d'Aquitaine, il a profité de l'avancée des troupes musulmanes pour intervenir dans une région qui refusait de se soumettre à son autorité. Fort de sa victoire, Charles s'empare de Bordeaux et met un pied en Aquitaine, sans la soumettre immédiatement : à la mort d'Eudes, ce sont ses fils qui lui succèdent. Son appui reste cependant indispensable à la lutte contre les Sarrasins : il intervient dans la vallée du Rhône et en Provence les années suivantes, où il soumet le patrice Mauronte (737), allié des Sarrasins. Au sud de Narbonne, il bat à nouveau ceux-ci sur les bords de la Berre, en 737. Ainsi, la victoire de Poitiers entraîne non pas le départ définitif des musulmans (échec du siège de Narbonne, la ville restera dirigée par un gouverneur omeyyade jusqu'en 759), mais l'intervention systématique des Francs, seuls capables de s'opposer à eux. 
 
Selon l'historien allemand Karl Ferdinand Werner, la Provence a été bouleversée par les exactions de Charles Martel. Karl Werner envisage que le surnom "Martel-Marteau" puisse venir de la brutalité impitoyable de la répression de Charles, qui agit comme un marteau qui écrase tout, plutôt que de sa technique de combat contre les musulmans.
À la suite de la bataille, les troupes musulmanes ne sont pas chassées de Gaule : allié aux lombards, Charles Martel doit encore faire campagne contre elles en Provence et Septimanie entre 737 et 739 mais il ne parvient pas à reprendre Narbonne, définitivement conquise en 759 par son fils Pépin le Bref. Si l'expansion musulmane est stoppée, notamment dans le sud-ouest, les raids musulmans se poursuivent sur plusieurs décennies. Charlemagne bat vers 800, à la bataille du bois des Héros (en Saintonge), une troupe musulmane qui razziait le pays. Des forteresses provençales servent de base à des incursions dans le pays jusqu'à la fin du Xe siècle (voir bataille de Tourtour).

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