Mahaut d'Artois (v.1270-1329)
Sorcière et empoisonneuse ?
Petite-nièce de Saint Louis, cousine, marraine et belle-mère de roi, Mahaut d'Artois est l'un des plus puissants personnages du royaume de France dans la première partie du XIVe siècle. En conflit avec ses vassaux révoltés, la comtesse Mahaut d'Artois doit faire face à des ennemis particulièrement retors. Pour la perdre plus sûrement, certains n'hésitent pas à l'accuser de sorcellerie et d'avoir empoisonné Louis X le Hutin. Une accusation dont elle sera blanchie le 9 octobre 1317..
Mathilde d’Artois, dite Mahaut nait en 1269 ou 1270 (la date de naissance exacte est inconnue, les historiens la situant, à titre hypothétique, aux environs de 1269 ou 1270), de l’union du comte Robert II d'Artois et de sa première épouse Amicie de Courtenay.
En 1285 (ou 1291 ?), elle devient comtesse de Bourgogne par son mariage avec le comte Othon IV de bourgogne de la maison d’Ivrée.
Quand son père meurt lors de la bataille de Courtrai le 11 juillet 1302, contre les Flamands du comté de Flandre, bataille qu'il mène pour le compte de son suzerain, le roi Philippe IV de France (Philippe le Bel), elle hérite de ses domaines et devient de son propre chef comtesse d’Artois, en écartant son neveu Robert III d'Artois, alors âgé de 16 ans, fils de son frère cadet Philippe d'Artois, mort le 11 septembre 1298 après une blessure reçue à la bataille de Furnes contre le comté de Flandre. En effet, les lois de succession du comté d'Artois donnaient priorité, quel que soit leur sexe, aux enfants du comte décédé, au détriment des éventuels petits-enfants.
Veuve en 1303, (son mari meurt à son tour des blessures reçues à cette même bataille de Courtrai contre les Flamands), son fils Robert succède à son père sous la régence de sa mère. Pair de France, Mahaut siège en Haute Cour et rend justice sur ses terres.
Elle marie ses deux filles, Jeanne et Blanche, aux deux fils puîné et cadet du roi de France Philippe le Bel. Ainsi, en 1307, Jeanne, âgée de seize ans, épouse le futur roi Philippe V le Long alors âgé de quinze ans et en 1308, Blanche épouse à douze ans le futur roi Charles IV, alors âgé de quatorze ans. Mahaut d’Artois, femme de pouvoir, ne peut ambitionner davantage. Entre ses filles et le trône, il n’existe plus qu’un seul obstacle : Louis, fils aîné du roi. Il faut qu’il meure et que Philippe lui succède : Jeanne deviendrait ainsi reine de France. Mahaut convoite déjà la place de belle-mère du roi. En attendant de mener à bien ses projets, ses deux filles, vives et jolies, mènent une vie joyeuse au Louvre en compagnie de Marguerite, femme du prince héritier Louis.
Entre ces deux mariages, Robert III d’Artois, son neveu, lui intente un procès pour essayer de récupérer son héritage : selon lui, le comté d’Artois, ce fief inestimable, lui revient de droit. Néanmoins, il perd devant la cour de pairs du roi de France car la Justice découvre qu’il a falsifié des preuves. Mais les événements qui se déroulent par la suite pourraient bien jouer en sa faveur… Le plus incroyable scandale de l’Histoire de France éclate en 1314, celui de la Tour de Nesle. Les trois princesses, Marguerite, Jeanne et Blanche rallient autour d’elles la jeunesse de la cour. Les mauvaises langues, par jalousie ou par indiscrétion, chuchotent à propos du dévergondage des princesses … on parle de certains rendez-vous galants.
Le charme des trois jeunes femmes fait naître cette rumeur destructrice : le roi ordonne une enquête. Il ne faut longtemps avant qu’on découvre l’adultère : les amants de cœur, les frères d’Aunay, Philippe et Gauthier, des chevaliers, sont arrêtés et résistent un temps, pour finalement avouer avoir bel et bien été les soupirants des princesses. Ainsi, trois années durant, Philippe fut l’amant de Marguerite et son frère Gauthier celui de Blanche. Jeanne, moins coupable, semblait couvrir les débordements de sa sœur et de sa belle-sœur. Les heures de débauche des pétillantes dames et de leurs amoureux se déroulaient à la Tour de Nesle, une des tours de l’ancienne enceinte de Paris.
Marguerite et Blanche, accusées d’adultère, sont tondues puis habillées de bure avant d’être conduites dans un chariot tendu de noir au Château-Gaillard, une forteresse médiévale située dans la commune des Andelys. On donne à Marguerite une cellule au ras du sol, tandis que Blanche est jetée dans un cachot enfoncé dans la terre. Jeanne, seulement coupable de connivence, est enfermée derrière les murs du château de Dourdan. À Pontoise, le 9 avril 1314, les frères d’Aunay sont, quant à eux, roués vifs, émasculés, couverts de plomb en ébullition et traînés par des chevaux. Malgré cette abominable torture, ils respirent encore. Ils sont finalement décapités puis pendus par les aisselles à des gibets.
Mahaut décide alors de tout mettre en œuvre pour sauver Jeanne car la cause de Blanche est peine perdue : elle a déjà avoué son méfait. Le 29 novembre 1314, le roi Philippe le Bel meurt brusquement en revenant de la chasse. Mahaut est atterrée : elle ne pourra pas compter sur le successeur de Philippe le Bel, le roi Louis X, qu’elle pense totalement idiot, pour absoudre Jeanne, et, si c’est encore possible, Blanche. Lorsqu’elle apprend, quelques mois plus tard, la mort de Marguerite, probablement assassinée ou décédée suite à ce qu’on lui aurait fait subir en prison, la comtesse tremble de peur en pensant à l’avenir de ses filles.
En 1315, Jeanne comparait une nouvelle fois devant les juges. Elle est acquittée par arrêt du Parlement et retourne vers son mari, le futur Philippe le Long : il a de toute évidence pardonné son écart de conduite, sûrement grâce à l’influence de sa belle-mère. Mais aux yeux de la cour, les soupçons commencent à naître : Mahaut d’Artois est, pour la première fois, soupçonnée de sorcellerie et de maléfices. Elle aurait eu recours à un philtre confectionné avec du sang de Jeanne et de Blanche et des herbes, pour réconcilier Jeanne et son époux. Plus grave encore, lorsqu’en juin 1316, Louis X le Hutin est pris d’un malaise après une partie de jeu de paume à Vincennes, on l’accuse de l’avoir empoisonné afin de faciliter l’accession de son gendre au trône.
Louis X, en mourant, laisse son épouse, Clémence de Hongrie, enceinte de quatre mois. Mahaut attend patiemment. Entre le trône et sa fille Jeanne, il n’existe plus que cet enfant à naître. Si c’est un garçon, le plan de la comtesse s’écroule. Évidemment, c’est un fils qui vient au monde, Jean Ier. Jeanne, qui s’imaginait déjà reine de France, cache difficilement sa déception. Certains pensent que Mahaut, ulcérée, aurait décidé de faire disparaître l’enfant : il fallait l’occire d’une façon ou d’une autre. Lorsque Mahaut, en sa qualité de grande dame, présente le nouveau-né à la nation, selon les croyances de certains, elle lui aurait planté une aiguille en or dans la tête pour qu’on ne s’aperçoive pas de sa mort, maintenant le port de son crâne aux yeux de tous.
Mahaut est suspectée du crime : elle serait devenue maléfique. Mais elle n’aurait pas assassiné le bon enfant : en réalité, la reine se méfiant de Mahaut et ne voulant pas lui confier ne fut-ce qu’un instant le petit roi, l’enfant a été remplacé par un autre. C’est donc celui-là qui est mort et qu’on enterre solennellement à la basilique Saint-Denis. Le véritable roi, sauvé des griffes de Mahaut, est emporté bien loin… en Italie. L’enfant fut soutenu par les autorités italiennes dont Nicolas Rienzo (dit Cola di Rienzo), tribun de Rome, et rebaptisé Giannino Baglioni. Quand, quelques années plus tard, Jean Ier tenta de faire valoir ses droits de roi légitime de France, il fut fait prisonnier et mourut en captivité en 1362. Cette théorie est en tout cas soutenue par les recherches de Maurice Druon, à l’occasion de l’écriture des Rois Maudits entre 1955 et 1977, et des recherches plus récentes tendraient plutôt à prouver qu’il s’agissait d’un imposteur et que l’enfant mort était bien Jean Ier.
Toujours est-il que, le 9 janvier 1317, Philippe et Jeanne montent enfin sur le trône lors d’une cérémonie grandiose dans la cathédrale de Reims. Au moment où l’on fait appel aux pairs pour soutenir la couronne sur la tête du nouveau roi, Mahaut d’Artois s’avance avec dignité. Elle a alors presque quarante ans, est grande et belle, suprêmement élégante dans son long manteau bleu doublée d’hermine et orné des écussons d’Artois. Dessous, on aperçoit sa robe de velours semée de lys d’or. Elle marche d’un pas royal, épanouie dans la réalisation de ses plus hautes ambitions. Son rêve de pouvoir devient réalité.
Mais une nouvelle imprévue vient briser ce rêve et la frappe en pleine gloire : Mahaut n’est plus soupçonnée, mais bel et bien accusée d’avoir empoisonné le roi Louis X pour que sa fille et son gendre puissent monter sur le trône. Dans le même temps, le fils de Mahaut meurt à l’âge de dix-huit ans : la mère éplorée est folle de douleur. L’accusation de sorcellerie pèse sur elle telle une épée de Damoclès et peut l’envoyer au bûcher sans aucun égard. Mahaut est accusée par une femme du peuple, Isabelle de Ferrière (ou de Fiennes), qui a avoué avoir composé un philtre d’amour à sa demande. Cette conspiration lui aurait coûté soixante-dix livres parisis… une somme conséquente. Isabelle Ferrière accuse également la comtesse d’Artois de lui avoir commandé différents poisons, dont l’un était réservé au roi Louis. Mahaut est humiliée. On mène alors une enquête sur elle : mais à force d’invraisemblances et de contradictions, le parlement la déclare innocente.
Le 3 janvier 1322, lorsque le roi Philippe meurt de dysenterie et de fièvre, à 28 ans, Jeanne perd irrémédiablement le titre de reine de France. Mais Blanche ne lui succède au trône que brièvement. Ainsi, elle ne devient reine que quelques mois, alors qu’elle se trouve à l’abbaye cistercienne de Maubuisson, où elle expie encore ses crimes. Son époux Charles ne lui a pas pardonné, et se méfie de sa belle-mère Mahaut d’Artois. Une fois couronné, il répudie Blanche sans ménagement et fait annuler leur mariage par le pape Jean XXII (Jacques Dueze, 1245–1334). De plus, la jeune fille, victime de la bestialité de ses gardiens de l’abbaye, est enceinte. Il est donc hors de question pour Charles de la faire monter sur le trône à ses côtés. Après un hiver rude à Maubuisson, Blanche y meurt le 29 avril 1326.
Le 23 novembre 1329, Mahaut, après avoir dîné à Poissy avec le roi Philippe VI, passe la nuit à l’abbayeroyale de Maubuisson. Le lendemain, elle rentre à Paris. Le 25, dans la nuit, Mahaut tombe subitement malade : son médecin accourt, mais les saignées et remèdes divers n’y peuvent rien. Sa fille, veuve de Philippe V, est auprès d’elle quand la comtesse meurt le 27 novembre. Jeanne lui succède comme comtesse d’Artois mais suit sa mère dans la tombe seulement deux mois plus tard (21 janvier 1330). Robert III d’Artois, le neveu de Mahaut, qui n’avait pas récupéré son fief, est soupçonné de l’avoir empoisonnée pour se faire justice là où, selon lui, le Conseil des pairs de France avait failli. Ce dernier s’enfuit à l’annonce de la mort de Mahaut d’Artois et se réfugie en Angleterre, décuplant la suspicion à son égard. Il soutiendra les prétentions du roi Édouard III à la couronne de France, d'où découlera la guerre de Cent Ans.
Le corps de Mahaut d’Artois est inhumé à l’abbaye de Maubuisson, aux pieds de son père, et son cœur est déposé dans l’église du couvent des Cordeliers à Paris, à côté de son fils Robert. Pourtant, au couvent, on n’a jamais retrouvé le gisant de Mahaut. Il existe bien un tombeau appelé « la gisante noire » attribué à Mahaut d’Artois dans la basilique Saint-Denis à Paris mais il s’agit d’une princesse inconnue, peut-être Marie de Brienne, dernière impératrice latine de Constantinople dont les critères semblent davantage correspondre.